La guerre des mondes

Publié le par Spock


Guerre impitoyable ou massacre sadique ?

 

« Qui aurait pu croire à l'aube du 21ème siècle que notre monde était surveillé par une intelligence supérieure ? Que pendant que l'homme s'occupait de ses affaires, ils observaient et étudiaient de la même façon qu'on observe au microscope les créatures qui pullulent et se multiplient dans une goutte d'eau. C'est avec une autosatisfaction démesurée que l'homme s'est dispersé sur Terre. Certain de son empire sur ce monde. Cependant, par-delà le gouffre de l'espace, des intelligences immenses et hostiles scrutaient notre planète avec convoitise. Lentement mais sûrement, ils mirent au point leur plan d'attaque. »

 

L'on aura beau chercher dans ce résumé spéculatif et dans les événements qui marquèrent la planète lors de cette « guerre des mondes », une raison qui ne se perde pas en contradiction, un motif logique qui poussa ces intelligences impitoyables à nous envahir, à nous détruire patiemment, méticuleusement, à tenter d'extraire chirurgicalement de la surface de la Terre jusqu'au dernier homme, l'on en trouvera aucune. Ce n'est pas qu'il n'existe nulle raison à leur entreprise, ni explication à leur comportement, mais qu’elles ne sont pas d'ordre rationnel.

De cet implacable ennemi que savons-nous ? Qu'il est une « intelligence supérieure » en regard de laquelle notre pensée la plus élevée est un babillage stupide ? Une « intelligence » si omnisciente qu'elle s'est octroyée le droit de décider de notre sort pour le bien du monde ? À ses yeux que sommes-nous ? D'insignifiantes bactéries dont l'extension a pris des proportions trop importantes et face à laquelle il leur faut désormais intervenir massivement pour la juguler et en éradiquer l'infection ?

Qu'escomptaient ces intelligences de leur interminable observation ? Que nous allions évoluer dans la bonne direction, nous développer pour atteindre un stade qui soit digne de leur reconnaissance ? Ont-elles jugé notre échec, notre méprisable prétention, l'outrageante assurance de nos certitudes ? Quoi qu’il en soit, ayant conclu à notre ineptie au terme d'une durée et de critères que leur supériorité rend seul juge, elles auraient décidé notre éradication au profit d'espèces plus prometteuses ou par simple mesure de « purification » biologique.

Ne nous ont-elles jamais considérés autrement qu'à la manière dont un biologiste voit une bactérie, une forme de vie admirable en regard de son échelle de possibilités, mais à jamais incapable d'une pensée évoluée ? Or, un biologiste omniscient laisserait-il une bactérie proliférée s'il sait qu'elle ne dépassera jamais le stade de l'amibe, quel que soit le temps laissé à son évolution et si elle est en plus nocive à d'autres formes de vie ?

Autre point d’étonnement, une intelligence peut-elle à la fois être « immense et hostile » ? L'hostilité résulterait plutôt dans son principe d'un manque de compréhension qui s’articule autour d’une proportionnalité inversée de la haine à la raison : plus l'on connaît l'autre et moins l'on a de motif de le mépriser (sans pour autant tout accepter). Si donc une hostilité « immense » au sens de dépourvue de toute borne logique n'est pas à écarter, elle ne serait pas le propre d'une intelligence supérieure.

         Une intelligence réellement « supérieure », c'est-à-dire qui serait parvenue à réaliser la compréhension globale de l'univers ne saurait être parallèlement – voire pour cette raison même ! – animée d'une hostilité impitoyable à l'égard d'autres formes de vie. Tout au plus, son omniscience la ferait-elle nous considérer comme proportion insignifiante. De là à vouloir nous éliminer, c'est une chose peu probable où du moins le ferait-elle sans fioriture. Or, l'acharnement de ces « intelligences » à nous exterminer minutieusement contraste avec une attaque visant un but précis. En d'autres termes, cette guerre des mondes orchestrée par des « intelligences immenses et hostiles » pour nous punir de notre « autosatisfaction démesurée » a pour effet paradoxal de nous donner, de par sa cruauté acharnée, encore trop d'importance !

De plus, si l'alliance des qualificatifs « immense » et « hostile » possède un caractère antinomique que dire de leur rapprochement avec la notion de convoitise ? Une « intelligence supérieure » devrait se suffire de la seule profondeur de son discernement à sonder l'infini du réel et à en saisir le sens jusque dans les moindres rouages. Pourquoi éprouverait-elle un sentiment de convoitise pour une planète microscopique et insignifiante parmi une infinité de mondes dans l'univers ? L’idée de convoitise suggère que du haut de leur supériorité postulée, ces intelligences n’ont pas réellement atteint le stade que leur domination nous fait extrapoler à leur sujet.

Enfin, la lenteur de la mise au point du plan d'attaque tranche avec le caractère millénariste de la guerre elle-même. Les tripodes étaient enfouis dans les profondeurs de la Terre depuis des centaines, voire des milliers d'années, ce qui implique une opération planifiée depuis un âge très reculé. Corrélativement, cette planification confère à cette attaque (et par d'autres aspects bien plus horribles) le caractère d'une « récolte » plutôt que celui d'une guerre. D'ailleurs, pour qu'il y ait réellement guerre, il faut au moins deux belligérants, or l'invulnérabilité des tripodes réduit tout ennemi à l’impossibilité de combattre.

Certes, de prime abord leur attaque peut sembler obéir à un plan élaboré. Dans un premier temps, des impulsions électromagnétiques frappèrent nos villes un peu partout dans le monde, paralysant nos modes de transport et tous nos moyens de communication, ce qui nous laissa incapables de réaction lorsque les tripodes sortirent de terre. Les terribles machines de destruction purent alors commencer leur macabre besogne sans rencontrer la moindre résistance et lorsque l’armée entreprit de riposter, ce fut pour s’apercevoir de l’inefficacité de nos armes face à leur champ de force et à leur laser.

Cependant, une information essentielle vient invalider cette impression de stratégie militaire savamment échafaudée. Il s’avère que les impulsions électromagnétiques furent en réalité le moyen par lequel ces intelligences franchirent le « gouffre de l’espace » et accessoirement la profondeur de terre sous laquelle les tripodes étaient enfouis. La paralysie de nos équipements électroniques ne fut donc en rien le fait d’une stratégie planifiée, mais le corollaire de leur « arrivée » sur Terre. En tant que tel, elle ne doit être jugé que comme un épiphénomène !

De plus, l’on remarquera que les tripodes n’ont pas surgi partout, mais seulement en certains endroits dans le monde, des lieux dont le choix ne répond à aucun critère stratégique et pour cause, les tripodes ont été enterrés il y a des milliers d’années, peut-être même avant le peuplement humain de la planète ! Si leurs localisations coïncidèrent avec l’emplacement de nos grandes métropoles, c’est seulement en raison de probabilités statistiques eut égard au taux de recouvrement de la Terre par l’homme.

D’autre part, si les tripodes avaient eu une stratégie arrêtée d’invasion, ils auraient attaqué en priorité nos sites tactiques, nos bases militaires, détruis nos installations logistiques, nos centres d’approvisionnement et de communication qui redevinrent opérationnels dès la résorption des effets électromagnétiques. Si les tripodes avaient suivi un plan de conquête leur déploiement aurait eu pour fin de paralyser nos défenses et d’empêcher toute contre-attaque, fussent-elles vouées à l’échec.

Or, il apparaît désormais que les directions prises par les tripodes se confondirent avec les trajectoires de leurs proies, dessinant une traque impitoyable menée sans autre objectif que celui d’une élimination totale. Comment expliquer autrement que par la volonté de nous exterminer jusqu’au dernier qu’ils soient restés aussi longtemps dans un même endroit, le fouillant avec méticulosité pour en dénicher le moindre être humain ?

Le témoignage de Ray Ferrier qui survécut à la première attaque des tripodes à New York et fuit la ville avec sa fille et son fils pour rejoindre Boston est significatif en ce domaine. Les événements qui eurent lieu dans la cave où ils passèrent quelques jours en compagnie d’un habitant d’une petite bourgade ravagée par les extraterrestres sont particulièrement révélateurs.

Contrairement à Ray dont la priorité était de sauver ses enfants, ce fermier croyait possible de vaincre l’envahisseur, mais sa vindicte finit par causer sa perte en attirant l’attention des tripodes sur eux. Un tentacule équipé d’un œil à son extrémité pénétra dans leur refuge pour en fouiller le moindre recoin, les obligeant à un jeu de cache-cache effrayant. Mais, ils réussirent à échapper à son attention.

Peu après, trois « intelligences supérieures » descendirent dans la cave et fouillèrent sommairement le bric-à-brac entassé là. L’une d’entre elles prit une photographie du fermier et de sa famille, la regarda avec le dédain que nous-mêmes affectons envers les insectes et la jeta avec mépris, faisant la démonstration du peu de cas que l’espèce humaine avait à leurs yeux. Puis, ils remontèrent dans leur tripode et s’en allèrent. Mais, une question reste en suspens, pourquoi leur laissèrent-ils une chance ?

Cette attitude tranche avec une entreprise d’élimination systématique à la réalisation de laquelle elles employèrent des moyens technologiques très avancés. N’est-il pas étonnant en effet que les tripodes n’aient pas été équipés d’appareils de détection ? L’âge canonique de ces engins n’est pas un argument recevable eut égard aux champs de forces qui les protégeaient et aux lasers dont ils étaient armés, technologies plus complexes à fabriquer. Est-il possible que la « convoitise » que certains attribuèrent à ces intelligences puisse avoir eu pour mobile une chasse à l’homme ?

Tout l’intérêt de la chasse réside dans le fait de ne pas connaître son résultat à l’avance. Si les intelligences avaient usé d’appareils de sondages sophistiqués, la présence des occupants de la cave n’aurait pas pu leur échapper. La contrepartie de cette règle est de ne pas revenir sur son principe si aucune proie n’est débusquée. Le comportement des extraterrestres semblerait donc s’inscrire parfaitement dans les principes d’une chasse.

Cependant, le corollaire de la seconde règle qui implique de ne pas remettre en cause le résultat d’une traque infructueuse par des moyens qui annulent l’intérêt même de la chasse est de laisser échapper une proie, ce qui est en contradiction avec les éléments arguant d’une extermination méticuleuse.

Si les intelligences supérieures ont donné d’innombrables preuves de leur acharnement dévastateur, le témoignage de personnes comme Ray, qui sont très rares à avoir survécu à leur capture par les tripodes, est saisissant d'effroi.

« Après avoir passé trois jours dans la cave, je ne m’étais toujours pas décidé à sortir. Je pensais les tripodes partis et me risquai à l’extérieur. Ce que je vis alors m’emplis d’horreur. Le paysage était métamorphosé. La couleur verte de la végétation s’était muée en un rouge sombre. Du sol à la cime des arbres, chaque pouce de terrain était recouvert de veines qui dessinaient des ramifications étranges à perte de vue. Je crus d’abord en une végétation extraterrestre comme si les tripodes avaient entrepris de changer la Terre pour en faire la réplique de leur monde. Mais, je n’allais pas tardé à en découvrir la véritable origine.

Un bruit mécanique me fit sursauter. Un tripode venait de surgir à quelques pas de moi. Mais, il ne m’avait pas vu. Ses tentacules fauchaient l’air pour tenter de saisir un malheureux qui fuyait devant ses assauts acharnés en lançant des cris de terreur. L’un de ses appendices métalliques le jeta au sol tandis qu’un autre, terminé par une excroissance effilée comme un couteau, vint se ficher dans sa poitrine. Avec un bruit de succion horrible, il en absorba le contenu jusqu’à la dernière goutte. Ainsi donc cette végétation d’outre espace qui tapissait toute chose se gorgeait-elle du sang des hommes ! ».

Aussitôt après, Ray dû affronter les tripodes pour protéger sa fille. Capturé par les effroyables tentacules, il fut placé dans une sorte de nacelle sous l’engin où était entassé un groupe d’hommes et de femmes tétanisés par la peur. Il vit disparaître l’un d’eux dans le ventre du monstre, absorbé par une sorte de trompe visqueuse. Lorsqu’elle voulu l’emporter à son tour, il s’anima de l’énergie du désespoir, s’empara de la ceinture de grenades d’un militaire et la glissa dans la gueule béante. Le tripode fut alors secoué par le hoquet de plusieurs explosions, vacilla et s’écrasa sur le sol les libérant de leur prison.

Il est clair qu’un tel comportement n’a rien d’une chasse à l’homme. Aussi « supérieures » qu’elles fussent, ces intelligences avaient besoin de se nourrir. N’ayant pas amené avec elles de quoi satisfaire à leurs besoins vitaux, elles le prirent sur place, le récoltant chez ces humanoïdes insignifiants qu’elles étaient venu exterminer. Cette utilisation des plus rationnelles de leurs victimes, se servir d’elles pour mener à bien leur campagne de destruction, atteste du caractère systématique de cette dernière.

Difficile toutefois d’admettre que ce que nous prenons pour la forme la plus extrême de sadisme à l’égard de leurs victimes n’ait été somme tout que l’expression d’un besoin vital. En d’autres termes, la nécessité suffit-elle à expliquer leur férocité ? Fut-elle exempte de toute gratuité et de toute perversion ?

Avec le recul, le regard que ces abominables envahisseurs portèrent sur l’homme nous apparaît aujourd’hui posséder une certaine communauté d’intentions avec le comportement de nos propres enfants ! Le rapprochement peut surprendre, mais il n’est pas choquant. Tout jeune enfant, parce qu’il n’a pas encore saisi la valeur de la vie, a envers les animaux et en particulier les insectes, qu’il considère comme des jouets en miniatures, une attitude aussi cruelle. En les voyant s’amuser à écraser une par une des fourmis, à démembrer des araignées ou à sectionner des vers de terre pour voir ce que cela fait, nous ne pouvons nous empêcher d’y voir, précisément parce que nous autres adultes avons acquis la valeur des choses, une certaine forme de « sadisme ».

Sous cet angle, le comportement des extraterrestres envers l’homme s’inscrit dans le même schéma de pensée. L’acharnement employé à vouloir nous détruire, la méticulosité mise à éradiquer chaque membre de notre espèce, le caractère impitoyable de la « récolte » de leur proie, tout cela révèle leur absence de sens moral qui nous fournit une explication claire à leur entreprise.

Dans son récit effrayant de l’attaque de New York, Ray Ferrier raconte comment il dû la vie au plus grand des hasards, dans une course éperdue sous les tirs de lasers des tripodes qui pulvérisèrent des hommes et des femmes à quelques centimètres de lui. Ne s’est-il pas alors senti dans la peau d’une fourmi qui tente d’échapper aux attaques répétées de pieds d’enfants dont elle ne comprend pas la vindicte et auquel elle ne peut prêter que des intentions hostiles ? Et lorsque le tentacule muni d’un œil fouillait la cave à sa recherche, n’a-t-il pas un instant éprouvé ce que doivent ressentir les habitants d’une fourmilière lorsque des enfants en retournent les galeries à l’aide de bâtons ?

Aussi, ne nous faut-il pas considérer notre rapport à ces envahisseurs d’outre espace en termes d’échelle de l’intelligence – à la base de laquelle nous nous situerions en regard de leur position de surplomb – mais en termes de conscience, l’évolution de notre espèce ayant conduit à l’émergence de la morale et à la compréhension de la valeur de la vie dans son pendant existentiel. À l’évidence, le comportement des envahisseurs démontre qu’ils n’ont pas encore acquis ou développé cette qualité.

La conclusion avancée pour expliquer leur anéantissement, aussi soudain qu’imprévisible, fait écho à cette explication. « Au moment où ils nous envahirent, respirèrent notre air, mangèrent ou burent, ils scellèrent leur destin. Ils furent vaincus, détruits, alors que les armes terrestres étaient pourtant impuissantes. Tués par les plus petites créatures que Dieu a mises sur Terre. Il a fallu un milliard de morts pour que l'homme acquière son immunité, le droit de survivre parmi d'innombrables organismes. Ce droit, nous l'avons gagné. Car les hommes vivent ni ne meurent en vain ».

Certes, là encore la raison avancée à leur anéantissement s’inscrit en contradiction avec le qualificatif dont usèrent ceux-là mêmes qui lors de leur découverte les désignèrent comme des « intelligences supérieures ». Comment peut-on en effet posséder une aussi grande intelligence et négliger le danger viral ? Serait-ce que les individus à l’origine de cette désignation, en postulant l’absence de micro-organismes tels que bactéries et virus dans le monde d’origine des envahisseurs, réfutent la capacité pour la sélection naturelle de produire des espèces par filiation à partir d’une souche commune partout où la vie a pu germer dans l’univers (peut-être parce que le résultat est toujours unique) ? Sans compter que l’on voit mal comment une infection bactérienne pourrait avoir une incidence sur le champ de force des tripodes !

Aussi, pour établir une consonance logique entre les deux thèses, nous écarterons l’idée de prédétermination suggérée par le rôle qui aurait été joué par Dieu dans sa grande sagesse en plaçant sur Terre dès la création ces micro-organismes auxquels nous devons notre salut (terme qu’il convient d’écarter eut égard à sa connotation religieuse). Nous ferons également objection quant à la croyance dans le mérite de nos actes qui aurait fait gagner l’immunité à l’homme par le martyre et réfuterons l’idée que ce droit chèrement acquis fait de nous des êtres à part (et plus encore que nous l’aurions obtenu parce que nous serions à part !).

Au final, nous ne retiendrons que la dimension morale de l’événement, mais encore nous faut-il en relativiser la fonction, car celle-ci n’est pas attachée au vivant comme un attribut en soi inhérent à ce dernier et conséquemment comme une raison d’être métaphysique à son existence, mais réside dans la perception que toute vie douée de conscience acquière sur elle-même. Ainsi, ce qui fut réduit à l’impuissance, ce ne furent pas les envahisseurs et leurs machines de guerre, mais la vision amorale qu’ils avaient de nous et qui les fit nous piétiner. En ce sens, leur élimination ne constitue pas une victoire de la vie, mais de la conscience morale.

©Spock

 

Publié dans Science-fiction

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article