Je suis une légende

Publié le par Spock

Premier ou dernier homme ?

   

L'histoire est racontée au travers du regard de Robert Neville, célèbre virologiste et seul survivant (à sa connaissance) d'une pandémie virale qui a fauché près de 90 % de la population mondiale. Son origine est un virus, initialement programmé par le docteur Alice Krippin aux fins de guérir le cancer. En mutant, le virus a transformé les hommes en zombies.

Le film se veut toutefois porteur d'espoir, à la fois parce qu'il part d'une bonne intention et d'une prodigieuse réussite médicale, mais aussi parce qu'il constitue une démonstration du fait que même dans la pire des situations, il existe toujours une possibilité de s'en sortir. Le potentiel de violence et de destruction de l'homme est ainsi contrebalancé par l'existence en lui de bonté et de bienveillance envers ses semblables. Neville n'a pas réussi à préserver la population de la contamination, qu’à cela ne tienne, il sauvera la population infectée ! En agissant de la sorte à l'égard d’êtres que d'aucuns auraient jugés condamnés et abandonnés à leur sort, il démontre être mû par « humanité ». Donner l'antiviral aux rares survivants non infectés au péril de sa propre vie lui permet ainsi d’assurer la pérennité du principe d'humanité.

Cependant, son geste n'éradique pas tout potentiel de destruction en l'homme, car l'autre message du film, c'est que de la même manière que le triomphe du Mal ne saurait être absolu, la victoire du Bien ne saurait être totale. Il demeurera toujours une portion de l’un en l’autre, fut-elle infime et dissimulée à nos yeux, prête à rejaillir à la moindre occasion, y compris sous la forme des meilleures intentions. C'est le principe chinois du yin et du yang, cette dualité formée par des complémentaires symbiotiques au fondement de toutes choses dans l’univers. Tout ce qui existe est constitué par ces deux catégories qui s’équilibrent en permanence en de perpétuels mouvements de contre-balancements.

Trois types de relations définissent leur articulation, opposition, interdépendance et engendrement. Ils transparaissent avec clarté dans cette histoire. L’opposition postule que « l’un porte en lui le germe de l’autre ». Ici, le remède contre le cancer est à l’origine de la pandémie. L’interdépendance implique que « yin et yang doivent être en équilibre constant », l’excès de l’un ou le déficit de l’autre risquant d’entraîner l’effondrement de tout le système, ici la civilisation humaine. Quant à l’engendrement, il signifie que « chacun émerge de l’autre ». Dans le contexte du film, le terme de « mutation » est plus expressif.

Au travers du prisme du yin et du yang, le rapport entre le Bien et le Mal est binaire. Chaque catégorie possède des frontières délimitées, mais non étanches qui peuvent être franchies par glissement, dérive ou perversion, phénomène tantôt insensible, tendancieux ou brutal. En ce sens, la mutation du virus Krippin participe d'un changement de nature ontologique : originellement attaché au Bien, le virus passe dans le camp du Mal à cause d’une mutation aléatoire qui modifie sa programmation. Mais, les choses sont-elles si manichéennes qu’il y paraît et ne dissimulent-elles pas une autre facette ?

Pour la virologie, il n'y a aucune ambiguïté possible : en transformant l'homme en monstre, le virus mutant ne fait plus par définition « ce pour quoi il a été programmé ». La chose est entendue, sa propagation ne répond pas à son objectif initial, car la pandémie mondiale est la conséquence seconde de sa mutation, la première étant la transformation de l'homme en zombie. Mais que se passe-t-il si nous posons que le virus n'a en réalité jamais cessé d'obéir à sa programmation ? Cela pourrait-il suggérer que le processus de « transformation » s'inscrirait lui-même dans le mécanisme auquel a recours le virus pour guérir le cancer ? En d'autres termes, le remède n'aurait-il atteint son objectif de guérison qu'au prix de l'anéantissement de l'homme ?

L'idée est paradoxale et contradictoire avec la technicité dont fait preuve la science médicale pour parvenir à guérir le cancer, technicité qui sous-entend une logique rationnelle par principe exempte de toute faille. Pourtant, l'histoire démontre que l'homme possède seulement un contrôle de façade sur la nature, même s'il aime croire le contraire et se bercer d'illusion au sujet de ses réelles capacités à manipuler le vivant. Aussi sophistiquée que soit la technique dont il fait preuve pour modeler les organismes vivants (ici la manipulation génétique), la nature conserve toujours une longueur d'avance et peut se retourner à n'importe quel moment. Quant au paradoxe, il n'est pas si flagrant. Le docteur Krippin peut-elle affirmer sans le moindre doute qu'elle connaît parfaitement le mécanisme d'action de son virus ?

Nonobstant ces quelques considérations, l'emploi du terme programmation est abusif en biologie. Nous l'extrapolons de son usage en informatique où il désigne l'activité consistant à écrire une suite structurée d'instructions aux fins d’obtenir un résultat donné. L'informatique a acquis dans nos esprits valeur de certitude eut égard à la logique rationnelle dont usent les ordinateurs (même si elle est en réalité celle de leurs concepteurs).

Or, la biologie n'est pas l'informatique. Hormis le nom, un virus biologique se distingue d'un virus informatique en ce qu'il est capable d'évoluer par lui-même, de manière imprévisible et aléatoire. C'est donc une erreur de croire qu'il est possible de le programmer à la manière d'un ordinateur et qu'il ne fera jamais rien d'autre que « ce pour quoi il a été créé ». Mais, c'est aussi une erreur de penser qu'un virus biologique peut soigner une maladie, cancer ou autre parce qu'on l’a conçu pour ça, ses créateurs sachant comment la maladie procède, se répand et évolue, mais aussi comment il convient de l'enrayer et d'éradiquer les cellules malignes de la bonne manière biologique.

Il est donc fort probable que le virus Krippin n'a pas été « programmé » de sorte à suivre une stratégie bien définie, mais qu'il a seulement été conçu en vue de la fin que sa conceptrice espérait le voir atteindre. Dans ce schéma, quelles que puissent avoir été ses « instructions », le virus n'avait pas pour objectif de préserver l'humain dans ses caractéristiques biologiques. Il aurait fallu que sa programmation l'exprime explicitement. Mais était-ce seulement possible ?

Pour cela, il faudrait être capable de réduire la distance qui sépare les micro-organismes des macros organismes en faisant comprendre aux premiers leur situation et leur rôle symbiotique. Cependant, guérir le cancer sans altérer la nature de l'organisme n’est pas une instruction illogique dans le cadre du vivant. Certes, notre système immunitaire œuvre à l'échelle cellulaire sans savoir qu’il agit pour le compte de notre organisme dans son entier. Mais, il existe des maladies qui se caractérisent précisément par un « défaut d’appartenance » ou du moins de « reconnaissance » du système immunitaire qui s'attaque dès lors à l'organisme auquel il appartient comme s’il s’agissait d’un corps étranger.

La stratégie consistant à guérir le cancer en changeant la manière dont les cellules fonctionnent constitue-t-elle une bonne approche ? Il convient de préciser de quelles cellules on parle. Ce que fait le virus Krippin n'est pas de changer la nature des cellules cancéreuses afin de les rendre saines, mais de « transformer » ces mêmes cellules afin de prévenir leur dégradation cancéreuse de sorte à ce que, ne présentant plus le défaut qui conduit à cette dégénérescence, les nouvelles cellules soient naturellement immunisées contre le cancer. Cette transformation au niveau cellulaire induite par le virus Krippin entraîne une transformation au niveau de l'organisme global, le terme qui convient pour en caractériser le produit final étant celui de « zombie ».

C’est dans la compréhension du mécanisme du cancer que cette transformation en zombie revêt toute sa signification. En effet, « le défaut qui conduit à la dégénérescence » des cellules cancéreuses ne résulte pas d’un fonctionnement incontrôlé de la machinerie cellulaire ou d’une altération structurelle, mais provient du dysfonctionnement du mécanisme qui, lorsqu’une cellule subit une altération non réparée et non réparable de son génome, doit enclencher son autodestruction programmée ou apoptose.

L’apoptose procède par la transmission de signaux entre les cellules. Il ne s’attache pas seulement à l’élimination des cellules défectueuses, ce processus est à l’œuvre dans l’embryogenèse des organismes vivants en tant qu’il permet par exemple la formation des doigts de la main ou des pieds. À l’instar du yin et du yang, l’apoptose contrebalance le mécanisme de prolifération cellulaire aux fins de tracer littéralement les formes de notre corps.

Traditionnellement dans les films d’horreur du genre, les zombies sont des morts revenus à la vie et assoiffés du sang des vivants qu’ils transforment à leur tour en morts-vivants par leurs morsures. Schématiquement, les cellules cancéreuses sont des cellules « programmées pour mourir » qui n’ont pas réalisé leur apoptose et qui à la manière des zombies continuent à se développer en transformant à leur tour les cellules saines en cellules cancéreuses zombies ! Sous cet angle, les films dits de « zombies » sont donc le reflet du cancer en tant que « maladie caractérisée par une prolifération cellulaire anormale et anomique au sein d’un tissu normal de l’organisme ».

Contrairement donc à ce qui a été dit plus haut, il n’est pas possible de « transformer [en un tournemain] des cellules cancéreuses [comme aboutissement d’une sélection maligne] pour les rendre saines », sauf à inverser le processus de leur sélection. Une cellule dont le génome altéré n’a pas été corrigé et dont le contrôle de la reproduction cellulaire devient anarchique acquiert à chaque nouvelle génération un avantage sélectif lui permettant d’engendrer un clone de cellules anormales par l’accroissement des probabilités de sa multiplication. Avec elles, augmente les probabilités de voir émerger de nouvelles mutations malignes qui seront à leur tour préférentiellement sélectionnées. Ainsi, la malignité cancéreuse va-t-elle de paire avec l’accumulation des mutations générationnelles au travers d’un processus d’accrétion constant jusqu’à aboutir à des cellules hautement cancéreuses.

Le film postule la possibilité d’une vaccination anticancer, mais est-elle possible et en quoi consisterait-elle ?

Sauf à imaginer une forme de vie non biologique à base de silicium, tout corps basé sur une structure ADN est susceptible de subir des dégradations cellulaires lesquelles peuvent conduire à développer diverses formes de cancer. Il est toutefois possible de concevoir des vaccins qui bloquent l’action de certains virus à l’origine d’infections cancéreuses ou, chose plus difficile, de rendre notre système immunitaire plus efficace dans sa lutte contre les cellules tumorales. Des vaccins thérapeutiques anticancéreux sont donc possibles dans la pratique, bien qu’ils restent pour l’heure cantonnés à une activité curative.

Cependant, même en imaginant (avec toute la précaution requise) la mise au point d’un vaccin préventif, la prédisposition des organismes vivants à développer des cancers demeurera toujours du fait de leur nature génétique, ainsi que du mode de fonctionnement des cellules, en particulier des modalités de leur transformation (au rang desquelles figure l’apoptose). Ce n’est que lorsque l’on commence à conjecturer par exemple le recours à des nanorobots afin de compléter, voire de remplacer notre système immunitaire et le rendre invulnérable à toute infection que l’on approche de l’idée d’une transformation ontologique de l’homme. En effet, protéger les cellules de toute altération équivaut en finalité à les rendre « inaltérables », ce qui est incompatible avec la vie elle-même, la formation des organismes vivants procédant de l’équilibre entre création et destruction cellulaire.

Le film ne s’aventure toutefois pas sur cette voie. Le virus Krippin est selon les propos de son auteur un « policier qui patrouille dans notre corps comme sur une autoroute aux fins d’y faire régner l’ordre », mais il reste organique. À la base, c’est le virus de la rougeole qui a été reprogrammé pour qu’il « aide le corps et non le contraire ». De fait, si le virus Krippin fait « ce pour quoi il a été programmé » (avec toute la réserve qu’il convient d’avoir quant à l’usage de ce terme), son comportement ne traduit pas pour autant l’idée selon laquelle la transformation de l’homme serait la condition nécessaire pour guérir le cancer.

En d’autres termes, la pandémie mondiale ne s’inscrit pas dans le cadre de la stratégie élaborée par le virus pour parvenir à son objectif, mais constitue une dérive anarchique. Curieusement, le terme choisi pour qualifier le mode de propagation du cancer est l’anomie. Or, ce terme désigne également l’état d’une société dans laquelle les normes qui régissent la conduite des individus et préservent l’ordre social ont été détruites. N’est-ce pas exactement l’état du monde après la pandémie tel que décrit dans le film ?

Pour reprendre le parallèle avec le yin et le yang, les ravages du virus Krippin ont eu pour conséquence de remplacer les règles de « coopération » qui prévalaient entre les hommes par des règles de « prédation ». Toutefois, il est important de noter ici que le film s’écarte du livre de Richard Matheson en faisant de Neville une légende parce qu’il sauve l’humanité en découvrant l’antivirus. Dans le livre, qui a pour base la relativité de notre existence en regard de la sélection naturelle, Neville doit sa légende au fait qu’il est le dernier représentant de son espèce, les « infectés » constituant la nouvelle espèce émergente.

Ce point de divergence se retrouve également au centre d’une interprétation de l’anomie que d’aucun parmi les philosophes considère comme « créatrice de formes nouvelles de relations humaines » qui ne procéderaient pas d’un « trouble statistique », mais « incite l’individu à des sociabilités jusque-là inconnues ». Si donc le virus Krippin n’atteint pas son objectif par l’anéantissement de l’homme, il reste toutefois que la transformation qu’il entraîne, sans être ontologique, dessine, du moins dans le livre, les contours d’une nouvelle forme d’organisation sociale.

On en perçoit l’écho déformé dans le film, non pas au travers de la vendetta organisée par le mâle zombie qui traque Neville pour avoir capturé sa femelle dans le but de réaliser des tests vaccinaux, mais dans la scène où Neville s’aventure dans un sous-sol obscur à la recherche de sa chienne Samantha et où il tombe sur des zombies assemblés en cercles qui peuvent donner l’impression (interprétation libre) de psalmodier.

Dans le livre, les « infectés » ne veulent pas redevenir humains et pour cause ! Sous l’angle de la sélection naturelle, le principe d’humanité est dépourvu de sens. Une poignée d’hommes suffit pour faire renaître l’espèce humaine comme un seul virus mutant à l’anéantir. Chercher un remède pour guérir les infectés fait de Neville un virus dangereux qu’il convient donc d’éradiquer !

Cette inversion de perspective transparaît en filigrane dans le film. Elle va même jusqu’à travestir la figure du héros en celle de bourreau. Cet homme au volant d’une puissante voiture qui roule à toute vitesse dans les rues de New York, fusil à la main, chasse-t-il un « troupeau de biches » pour se nourrir ou écume-t-il les rues tel un prédateur sexuel ? Ce corps drapé dans un rideau de plastique dans l’appartement où il pénètre par effraction est-il celui d’une victime des zombies ou d’un tueur sadique ? Cette femelle zombie, nue et sanglée, dans le laboratoire de Neville est-elle un sujet de tests médicaux ou le jouet d’un tortionnaire ?

Et ce mur, est-il couvert de photos de zombies sur lesquels l’antiviral n’a pas eu d’effet – et dont on ne voit pas bien en quoi l’exposition ferait avancer la recherche hormis de maintenir à vif le sentiment de vengeance d’un père de famille dont les membres sont morts à cause du virus – ou, chose autrement plus horrible, la longue liste de trophées d’un tueur en série ?

Malgré le rythme de vie militaire qu’il s’impose, Neville est en réalité totalement désocialisé, comme le montre sa rencontre avec Anna et Ethan. La présence animale de sa chienne Samantha dissimule mal sa solitude existentielle dont le poids finit par le terrasser lorsqu’elle est infectée par les chiens zombies.

Neville est également victime de pertes répétitives du sens de la réalité, moments d’absence qui sont prétextes à des retours en arrière parsemant le film dans lesquelles on voit le monde sombrer dans le chaos causé par la pandémie. Or, ces flash-back n’ont pas pour seule fonction de nous aider à comprendre le combat de Neville, ils sont également le reflet de la détresse profonde dans laquelle celui-ci est cloîtré depuis la mort de sa famille tuée dans un accident d’hélicoptère devant ses yeux.

En réalité, Neville n’est jamais sorti de l’état de choc induit par ce drame, plus personne n’étant là pour l’aider ! Lorsqu’il refuse de suivre Anna en dehors de la ville où elle affirme qu’un groupe de survivants a trouvé refuge, il emploie le présent comme s’il était encore mentalement trois ans en arrière. « C'est le foyer principal. C'est mon chantier. Je refuse que ça arrive ». Et lorsqu’il dit « Je peux encore arranger ça », parle-t-il d’éviter la pandémie ou la mort de sa famille ?

Il n’est donc pas impossible que Neville puisse avoir glissé insidieusement de l’état d’esprit de survivant improbable, dévoré par la culpabilité d’avoir été épargné et reclus dans le souvenir d’un passé défunt, à un comportement qui dans un autre contexte aurait fait de lui une menace plus grande que ne l’est dans ce monde en ruine la présence de zombies tapis dans l’ombre avec lesquels il partage une certaine communauté de prédation.

Dans cette optique, l’obsession à découvrir un remède au virus Krippin a pour but est de détourner son attention de son véritable état mental. Du point de vue psychiatrique, Neville présente les symptômes d’une psychose délirante, paranoïa (il a transformé sa maison en bunker), délire de persécution (un zombie lui en veut personnellement), mégalomanie (il est le seul survivant de la pandémie à New York et le maître de ce monde devenu son territoire de chasse et de jeu).

Et au comble de la folie et du désespoir, il se met à entendre des voix ! Ce n’est pas seulement l’arrivée inattendue d’Anna, surgissant avec son fils à un moment d’extrême intensité, qui est significatif de son altération mentale, mais le lieu, les circonstances et les conséquences sur son existence.

Le lieu d’abord. La mort de sa chienne lui a fait oublier jusqu’à son message diffusé tous les jours au quai sud du port de New York sur sa radio à ondes courtes. La partie humaine de Neville ne croit pas qu’il y ait d’autres survivants, c’est sa partie rationnelle qui l’astreint à cette tâche répétitive sur la base des probabilités statistiques du nombre de personnes immunisées. Or, la préférence pour ce lieu est curieuse. D’ordinaire, ne choisit-on pas le lieu le plus élevé pour émettre ? C’est que l’endroit n’est pas anodin, sa femme et son fils y sont morts. Difficile alors de ne pas penser que cette tentative présente le caractère inconscient d’une volonté légitime, mais psychologiquement anormale car il n’a pas fait son deuil, de communiquer avec sa famille défunte.

Les circonstances ensuite. Le dernier lien « social » qu’il possédait encore, sa chienne, a été fauché par les zombies. Pour autant, veut-il se venger, animé par la certitude inébranlable que le combat contre le virus doit continuer, ou se suicider par dépit ? C’est au moment où le mâle zombie qui le poursuit de sa vindicte va le tuer qu’Anna et Ethan surgissent au travers de la lumière aveuglante des phares de leur véhicule. Plus exactement, leurs silhouettes se dessinent progressivement à mesure que se dissipe le brouillard des événements dans son esprit. Mais, ont-elles un caractère tangible ou la manière dont elles lui apparaissent n’est-il qu’une hallucination produite par son délire ?

Enfin, les conséquences sur son existence. Anna reconnaît être là en raison de son appel radio, mais affirme également que sa venue répond à une volonté supérieure. « Quelque chose m'a dit d'allumer la radio. De venir ici ». Lorsqu’il la questionne, elle répond « Dieu me l'a dit. Il a un dessein », sous-entendu « nous y avons un rôle à jouer ». Ce genre de commandement impérieux mentalement imposé par une force extérieure qui dépasse le sujet est une caractéristique propre au délire schizophrène.

Notons que si pour la psychiatrie « entendre des voix » est le signe d’un trouble mental et pour la médecine l’expression d’un dysfonctionnement cérébral, à l’opposé pour la croyance religieuse le même phénomène est considéré comme la chose la plus sacrée, au point d’avoir érigé en religion la parole censée avoir été reçue par cet intermédiaire !

Pourtant, si la religion est présente, c’est d’une manière très effacée. Hormis l’affiche « Dieu nous aime encore » sur un camion abandonné, elle ne transparaît réellement qu’avec Anna. La manière dont elle fait irruption provoque d’ailleurs une rupture dans la cohérence de l’histoire. Que Anna ait trouvé refuge dans la foi n’est pas original, mais qu’elle puisse croire que la pandémie est l’œuvre de Dieu est dissonant. Neville la tance sur ce point. Si Dieu existe, pourquoi seulement un pourcent de gens immunisés ?

Si la possibilité d’une action divine est irrationnelle, la croyance dans cette « intervention » n’est toutefois pas à écarter. Un raisonnement biaisé peut très certainement amener à croire que Dieu a envoyé ce châtiment aux hommes et sélectionné les survivants sur leur foi, c’est pourquoi Neville devait mourir aux fins de permettre à une humanité « purifiée » de renaître. D’ailleurs, Neville a-t-il réellement cessé de croire ? N’est-ce pas plutôt qu’il rend Dieu responsable de la mort de sa femme et de son fils ?

Pourtant, la religion a prouvé sa dangerosité depuis plus de deux millénaires de par les conflits et les morts qu’elle a causé. La religion a échoué et si l’humanité doit recommencer, il serait temps d’entrevoir une autre approche ? L’on comprend pourquoi le film fait de Neville une légende pour avoir sauvé l’humanité plutôt que l’incarnation d’un mode de pensée révolu, c’est par déni de cette accusation et entêtement dans une voie sans issu.

Le village qui abrite les derniers survivants humains se veut le lieu d’un nouveau départ pour la civilisation. Or, sous l’inversion de perspective, ce microcosme est affecté par les mêmes troubles comportementaux. Son enceinte close traduit le repli sur soi d’une société en autarcie à l’image de l’état de désocialisation de Neville. Une enceinte qui trahit la paranoïa des habitants à l’égard d’un monde dont elle représente désormais le seul îlot civilisateur, ce qui en fait le candidat idéal pour éprouver un sentiment de mégalomanie qui envahit tout microcosme, qu’il soit personnel ou sociétal, dès lors que celui-ci se sait l’unique représentant de sa catégorie. Toutefois, en comparaison ses dérèglements mentaux ne sont rien face à une constitution théocratique larvée.

L’élément significatif dans le sacrifice de Neville n’est pas qu’il donne sa vie pour protéger l’antiviral, mais Anna et son fils. Si sa maison est le reflet de sa psyché, alors cet ultime refuge au fond d’un conduit étroit est le symbole du dernier souvenir de sa famille tapie dans le recoin le plus profond de son esprit, le dernier brandon d’humanité qui ne s’éteindra pas avec lui, mais renaîtra animé d’un feu nouveau par l’explosion qui détruit les zombies.

 
©Spock

Publié dans Fantastique

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