Le parfum

Publié le par Spock

L’alchimie de la fragrance

 

Jean-Baptiste Grenouille appartient à l'espèce humaine, mais son odorat est aussi développé que celui d'un animal. Il est capable de capter les plus infimes particules odoriférantes en suspension dans l'air, de sentir l'odeur d'une chose ou d'un individu à plusieurs centaines de mètres de distance, d'isoler avec exactitude les différents composants d'un parfum et de les identifier individuellement par comparaison avec la senteur dégagée par chacune des essences qui le constituent.

De ce fait, Grenouille vit sur un autre plan de la réalité qui n'est pas loin de constituer un monde en soi, si ce n’est en propre du moins aux yeux des autres. Aussi est-il étranger aux hommes chez lesquels l'odorat est atrophié au profit du développement des fonctions cognitives. Jean-Baptiste Grenouille évolue à la frontière de l'animalité dans le sens où l'animal produit des sécrétions qui ont une fonction de messagers chimiques entres les individus d'une même espèce, influençant leur comportement ou modifiant leur biologie, les phéromones.

Cette disposition physiologique originale qui lui confère un odorat des plus fins constitue un handicap pour la vie en société –  nonobstant le rôle qu'il peut y jouer en tant que « nez » dans le cercle restreint des parfumeurs –, tant il apparaît comme antinomique par opposition au mode de vie sociale. Parce qu'il comprend très tôt que le langage est incapable de restituer l'infinie subtilité des odeurs et leurs infinies combinaisons, Grenouille ne fait pas d'effort pour développer ses fonctions cognitives et se met lui-même en retrait, se pose en situation d'étranger radical en regard de sa famille humaine d'origine.

Grenouille connaît le langage des odeurs mieux que celui des mots, mais son ignorance des concepts et son incapacité à manipuler les idées le privent du sens commun requis par la vie en société et de l'esprit critique nécessaire à son indépendance. Pour autant, pouvons-nous affirmer que Jean-Baptiste Grenouille ne connaît pas les notions de bien et de mal ?

Ainsi, il n’ignore probablement pas que son abandon par sa mère à sa naissance constitue un crime au regard de la vie et pas seulement envers les lois de la société humaine. Cependant, l'on peut également objecter que le langage déforme la réalité, qu’il perverti le réel et travesti la vérité en mensonge, qu'il conduit l'homme à devenir son propre prédateur et à s'entredéchirer aux prises entre ses intérêts individuels et les intérêts d'autrui.

La nature ne fait pas de distinction entre bonne et mauvaise odeur et conséquemment entre ce qui est bien ou mal au sens d'absolu moral. C'est au contact de la société humaine et à mesure du développement de ses expériences olfactives que Grenouille découvre ce découpage arbitraire circonscrit par les lois de la société des hommes. La confrontation entre ces deux univers antagonistes, que sont le monde « vrai » (au sens d'innocent) des odeurs et celui illusoire bâtit sur de faux-semblants de la société – les « mauvaises » odeurs du premier étant considéré par le second comme une conséquence délétère de l'existence, un parasite, une perversion – va conduire Jean-Baptiste Grenouille, d'asocial et de psychotique en regard des valeurs de la société, a devenir un effroyable meurtrier pour le genre humain.

         A l'opposé des valeurs morales du bien et du mal, dont l'acquisition n'est pas naturelle car elle nécessite un apprentissage – véritable formatage de l'animal humain en individu social –, Grenouille possède un sens inné de ce qu'il convient de considérer comme « bonne » et « mauvaise » odeur sous l'angle de la nature, c'est-à-dire comme odeur « vraie » par opposition à odeur « fausse ». C'est le sens de ses paroles lorsqu'il affirme au parfumeur Baldini que le parfum de son concurrent est un « mauvais parfum » et qu'il peut lui fabriquer un « bon parfum ».

Mais, ces paroles cachent aussi un autre sens. Grenouille ne vit pas seulement dans un monde d'odeurs dont nous n'avons qu'une connaissance imparfaite, car infinitésimale et biaisée, il évolue au milieu d'un univers d'essences qui possèdent chacune un pouvoir particulier sur les sens. Pour lui, les odeurs ne sont pas seulement la marque ou la carte d'identité d'une chose, ce sont aussi des messagers chimiques, des phéromones dont l'influence détermine le comportement de ce qui l'entoure. En ce sens, les parfums élaborés par les hommes sont des artifices destinés à tromper ceux qui les respirent sur les intentions réelles de leurs porteurs et de ceux qui le leur offrent.

Les parfums fabriqués par l'homme sont une comédie, envers soi-même d'abord dans le sens où ils répondent à un besoin de satisfaction purement égoïste. Portons-nous un parfum parce que son odeur nous plaît ou parce qu'il nous plaît qu’il corrompe nos sens ? Envers autrui ensuite en ce qu'il constitue un déguisement qui travesti son porteur en le présentant autre qu'il n'est en réalité. Portons-nous un parfum pour séduire de manière désintéressée ou pour provoquer une attirance dans une finalité de recherche de satisfaction sexuelle ?

         La véritable question à se poser est de savoir si nous avons véritablement besoin de porter un parfum ? Certes en regard du règne animal, le parfum chez l’homme est une béquille qui tente de jouer le rôle des phéromones. Toutefois, le problème n'est pas tant que le corps humain ne sache pas fabriquer de phéromones, mais que le cerveau s'est spécialisé dans l'analyse cognitive et a abandonné depuis longtemps sa capacité de traitement sensorielle des odeurs. De plus dans la nature, les phéromones ont une fonction vitaliste alors que le parfum a dans l'économie des relations humaines une finalité égocentrique. C'est pourquoi la nature ne triche pas avec les odeurs, alors que l'homme cherche sans cesse avec le parfum à paraître autrement qu'il n'est en réalité et à vouloir autre chose que ce qu'il annonce.

         Parmi les odeurs « vraies », Jean-Baptiste Grenouille découvre les phéromones émises par le corps des femmes et en particulier celles des jeunes filles vierges, dont la poésie décrit par une analogie fort à propos comme étant « en fleur ». Cette découverte a sur lui un impact extraordinaire, mais par un malheureux concours de circonstance, il tue accidentellement une jeune fille d'une grande beauté. Poursuivant alors ce qu'il avait commencé en remontant la piste de son odeur, il hume intensément après l'avoir dénudée toutes les parties de son corps. Mais, ignorant les conséquences de la mort sur la biologie des êtres vivants, Grenouille ne comprend pas qu'une si magnifique odeur puisse disparaître. Un gouffre de désespoir s'ouvre devant lui. D'abord détruit par la perte de cette odeur, il se ressaisit et conçoit alors le projet fou (et intrinsèquement meurtrier) de capturer l'odeur des jeunes filles pour les conserver indéfiniment.

Est-il égoïste en agissant de la sorte ? Son projet a-t-il une visée universelle ou ne cherche-t-il qu'à satisfaire ses propres pulsions sexuelles, ce qui pour le moins ne ferait pas de lui quelqu'un de meilleur que tout être humain en regard de ses capacités olfactives ?

Pour nous qui sommes les témoins de son premier crime, fusse-t-il accidentel ou délibéré, le seul fait de s'attacher à la préservation de l'odeur de la jeune fille morte et non pas à la préservation de son existence, fait de lui un meurtrier dépourvu de la moindre humanité. Au vu des crimes qu'il commet par la suite et nonobstant le caractère tout à fait particulier de sa psychologie, à l'intérieur de laquelle nous pénétrons a demi en vue subjective, la question se pose immanquablement. Jean-Baptiste Grenouille est-il ce qu’il convient de qualifier comme un tueur en série ?

La scène du film où Grenouille dénude la jeune fille qu'il vient d'étouffer mortellement est d'une grande ambiguïté sur ce point. Pour nous, dont l'esprit est formaté par les valeurs morales du bien et du mal comme des absolus en soi, le voir humer chaque partie de son corps apparaît d'abord indubitablement comme la métaphore d'un viol. Toutefois, cette facette de son acte ne transpire sous cette forme à notre esprit que parce que nous ne baignons pas dans sa psychologie, le film ne permettant pas malgré tout de pénétrer véritablement dans son univers olfactif et de voir le monde comme il le perçoit.

         En second lieu, l'on comprend qu'au-delà de l'impression première qui nous fait voir son acte comme un viol, le plaisir infini qui l'habite de respirer l'odeur du corps de la fille et la terreur qui l'envahit lorsqu'il se rend compte que cette odeur merveilleuse la quitte irrémédiablement constituent bien autre chose qu'un geste criminel. Sous cet angle, Grenouille apparaît effectivement comme le portrait typique du monstre tueur en série, émotionnellement froid, dépourvu de tout sentiment et de toute pitié, incapable de comprendre la souffrance engendrée par ses actes chez les proches de la victime et chez tout être humain normalement socialisé, dont la psychologie est structurée de manière équilibrée par le sens des valeurs morales du bien et du mal.

De plus comme un tueur en série, Grenouille possède une méthodologie propre dans l'accomplissement de ses crimes. Dans sa recherche de la technique de parfumerie lui permettant de conserver l'odeur du corps humain, il réalise des expériences horribles comme celle de distiller des jeunes filles pour tenter d'en extraire l'essence florale. Finalement, il élabore une méthode basée sur l'enfleurage. Après avoir tué ses victimes, toujours de la même manière en leur brisant la nuque, il enduit leur corps de graisse et les recouvre d'un linge. Puis après les avoir laissées macérées quelques heures, récupèrent la graisse qu'il distille dans l'alcool. De cette distillation résulte l'essence de ses victimes. En matière de crimes en série, il s'agit là de ce qu'il convient de nommer en terme technique un « mode opératoire ».

Toutefois, à la différence de tueurs en série, Grenouille ne cherche pas à faire souffrir ses victimes. Il ne les torture pas, ne leur afflige aucun sévices, d'aucune sorte, n'altère pas l'intégrité de leur corps, les tue rapidement et ne dissimule pas leur dépouille. Tout aurait pu se passer autrement si la prostituée qu'il avait choisie pour tester sa méthode d'enfleurage, somme toute indolore, s'était prêtée au jeu.

En réalité, nous ne saurions comprendre ses motivations et cette absence de sentiment qui nous le fait apparaître comme inhumain que sous l'angle de sa perception olfactive du monde. Grenouille privilégie l'odorat et non la parole. Aussi, serait-il erroné de confondre le caractère psychopathologique du tueur en série, dépourvu de la capacité d'empathie qui assure la possibilité de la vie en société, avec l'ignorance de Grenouille pour le langage parlé et son corollaire la connaissance des concepts moraux élaborés comme le bien et le mal.

Mais surtout, l'élément essentiel est que pour Jean-Baptiste Grenouille un corps sans odeur est un corps sans identité. En ce sens, il ne sait pas ce qu'est la mort qui, à ses yeux (où devrait-on dire « à son nez »), se caractérise seulement pas la disparition de son odeur. Or, son expérience et son savoir-faire en matière de « parfumerie légale » (en rapport avec la médecine légale qui s'occupe de l'étude des cadavres), lui dit que l'odeur ne disparaît d'un corps que si l'on ne sait pas la conserver !

En d'autres termes, si l'odeur peut se résumer à la « vie » dans sa vision du monde et par extension à « l'existence », alors il ne saurait identifier la préservation de l’odeur corporelle à la mort et à la disparition physique. N'oublions pas que si pour nous l'idée de la survie non corporelle relève du dualisme cartésien et des croyances religieuses, en regard de la perception olfactive du monde qui fonde la psychologie de Grenouille cette forme de survivance n'a rien de surnaturelle, ni de métaphysique. Aussi moralement inhumaine que la formulation peut le laisser penser, il n'y a aucune différence pour Grenouille entre les jeunes filles vivantes et l'essence de leurs odeurs extraites après leur mort, car les deux sont « vivantes » à son nez !

L’on comprend alors sa terreur lorsqu’il découvre que son propre corps n'émet aucune odeur : il n’a aucune identité, il n’est « personne », seulement une sorte de fantôme, une apparence de vie aussi fugace que les effluves d’un parfum. Se serait comme d’avoir conscience d’être encore vie alors que nous sommes morts, ce qui reviendrait à faire de ce sentiment une illusion !

La chose est d'autant plus difficile à saisir que si nous ne sommes qu'un mirage, il se trouve qu'il existe en nous « quelque chose » capable d'appréhender ce fait et ce sur quoi Descartes a bâti son cogito. Or, la connaissance neuroscientifique du cerveau tend à démontrer que la conscience est une illusion phénoméno-logique produite par la machinerie cérébrale, ce qui réfute le dualisme cartésien et l'idée de la survie en dehors du corps.

Pour Grenouille toutefois, qui ignore de tels concepts et ne saurait donc se lancer dans une réflexion philosophique, il est indubitable que son nez « existe » et qu'il lui permet de sentir que son corps n'a pas d'odeur sans que cela constitue en soi un paradoxe (au-delà du fait que l’on ne puisse « sentir » son propre nez). Cela le rend fou de savoir qu'il n'a pas d'identité. Il lui faut donc s'approprier une odeur ou la fabriquer afin de combler ce vide qui en regard de la nature correspond à une absence de phéromone. Or, sans phéromone les êtres vivants hormis l'homme sont incapables non seulement de survivre, mais simplement de vivre dans la société de leurs semblables.

En d'autres termes, ce qui constitue le problème de Grenouille sur le plan de l'humanité, c'est-à-dire son caractère asocial inhérent à son don qui l'isole des autres depuis son enfance, se trouve également constituer un problème vital sur le plan de l'animalité. De la même manière qu'il est handicapé pour communiquer avec les autres hommes parce qu'il ne maîtrise pas le langage et les concepts, il est cruellement restreint pour communiquer avec les autres formes de vies animales qui peuplent le monde, car il n’émet pas de phéromones.

Grenouille entreprend alors de se fabriquer ce dont il critique le principe lorsqu'il s'agit des parfumeurs c'est-à-dire une odeur artificielle, un élixir de séduction. Dans les premiers temps, le subterfuge fonctionne et il en retire une grande satisfaction sans se rendre compte que celle-ci se nourrit du pouvoir qu'il exerce sur les hommes. Au final, cet artifice ne lui plaît pas plus que les créations des « nez » de la parfumerie. Elle le conduit sur une fausse piste et il découvre à son plus grand regret l'impossibilité de fabriquer une odeur corporelle qui soit la véritable marque de son identité propre. Celle-ci s'avère au contraire être le reflet de ce que ses courtisans voient en lui, reflet inspiré par les effluves du parfum. Ce n'est pas naturel et donc ce n'est pas sain.

Le livre décrit le processus de cette ascension crescendo que le film montre d'une manière abrupte. Alors qu'il va être mené à l'échafaud pour être roué de coups de barre de fer, Grenouille ouvre la fiole qui contient le parfum composé à partir de l'essence de ses victimes. Le pouvoir du parfum dépasse tout ce qu'il est possible de concevoir rationnellement en terme de fascination des masses par un seul individu, probablement même extrapole-t-il totalement les effets que les phéromones pourraient avoir sur le comportement humain si son cerveau y était aussi sensible que celui des autres espèces animales.

Le pouvoir du parfum est si fort que Grenouille est conduit sur la place du calvaire dans un carrosse, comme un prince. En sentant les émanations du parfum, la foule se prosterne et le bourreau laisse tomber l'instrument du supplice. La foule crie au merveilleux, dit voir un ange, réfute toute accusation criminelle à son égard et lui dénie même toute possibilité de commettre le moindre mal. Quelques gouttes de plus sur un mouchoir et voilà que la foule se livre à une orgie sexuelle qui n'épargne personne y compris le prélat. Au final, même le consul Richis, assoiffé de vengeance, cède sous les effluves du parfum et adopte l'assassin de sa propre fille dont Grenouille avait besoin comme pièce maîtresse pour parfaire la réalisation du parfum !

Car, les meurtres commis par Jean-Baptiste Grenouille s'inscrivent dans la logique de l'élaboration de ce « parfum ultime » selon le principe que lui a inculqué le parfumeur Baldini des notes olfactives. Celles-ci sont au nombre de douze et sont divisées en trois membres, les notes de tête qui caractérisent la première impression olfactive très volatile, les notes de coeur qui constituent l'impression centrale plus persistante et les notes de fond qui persistent longtemps après l'évaporation totale du parfum. A cette partition olfactive, Grenouille rajoute une treizième note sur la base d'une légende que lui a compté Baldini et issue des profondeurs de l'Egypte ancienne. Une légende censée décrire l'emprise totale d'un parfum composé par les dieux sur les mortels, effet que Grenouille semble avoir réussi à reproduire par un puissant mélange de phéromones.

         Grenouille est au faîte de son pouvoir, mais alors qu'il peut obtenir l'obéissance absolue des hommes, il prend conscience de la véritable nature du parfum. Son but n'était pas tant de se faire désirer comme un dieu que de seulement réparer le défaut de sa nature en se donnant une identité. Or, le décalage est trop grand et sonne faux entre son désir premier, sincère et simple d'exister à l'instar des autres créatures et le pouvoir de domination total qu'il a désormais acquis sur les hommes.

         De retour à Paris à l'endroit qui l'a vu naître, Jean-Baptiste Grenouille s'asperge du parfum de la tête au pied. Ainsi paré de l'irrésistible essence, il envoie un message phérormonal à une foule de mendiants, brigands, voleurs et assassins qui se jettent sur lui. Les interprétations divergent toutefois sur sa fin. Pour le film, Grenouille disparaît simplement. Certains commentateurs sont moins poétiques et affirment qu'il s'est offert en immolation à la folie cannibale induite par les effets paroxysmiques du parfum.

Mais qu’en dit le livre : « Il s'était aspergé des pieds à la tête avec le contenu de cette petite bouteille et était apparu tout d'un coup inondé de beauté comme d'un feu radieux. Ils éprouvaient une attirance pour cet homme qui avait l'air d'un ange. Ils se précipitèrent vers l'ange, lui tombèrent dessus, le plaquèrent au sol. Une demi-heure plus tard, Jean-Baptiste Grenouille avait disparu de la surface de la terre jusqu'à la dernière fibre ». Sur le visage des assassins, « flottait une virginale et délicate lueur de bonheur » : ils avaient l'impression pour la première fois, « d'avoir fait quelque chose par amour ».

Cette dernière phrase suggère en particulier que Grenouille a été l’objet du jugement d’un tribunal populaire qui a exécuté la sentence méritée pour ses crimes, que la puissance du parfum était parvenue jusque-là repoussée. Il n’aurait accompli ainsi que le travail abandonné par le bourreau de Grasse, la sentence initiale étant de fracturer ses membres à l’aide d’une barre de fer puis de disséminer son corps en autant de fragments éparts.

Cependant, il est également possible de voir cette scène comme ne décrivant pas tant un acte barbare de cannibalisme (suggéré métaphoriquement), que l’inscription de la mort de Jean-Baptiste Grenouille dans le prolongement de sa quête d'identité olfactive. En se versant la totalité du parfum sur lui, Grenouille se « mélange » intégralement avec ses effluves, se fond avec le parfum, devient le parfum lui-même. Un phénomène étrange se produit alors. La puissance des phéromones est si grande qu'elle confère une force d’inhalation surhumaine à la foule en délire. Ses assaillants « inhalent » alors littéralement son corps jusqu’au dernier effluve du parfum flottant dans l’air.        

Sous cet angle, le parfum apparaît comme la pierre philosophale des alchimistes. Constitué à partir d'êtres humains, de jeunes filles pour certaines vierges, dont l'essence fut extraite par l'entremise d'une série d'opérations subtiles d’enfleurage et de distillation, le parfum réalisa à son tour la transmutation du corps propre de Jean-Baptiste Grenouille en esprit pur, qui se comprend ici au sens « d'essence subtile », celle du parfum.

         Ainsi, la boucle est-elle bouclée. Lui qui n’avait pas d’odeur a atteint le point culminant de la combinaison des odeurs les plus subtiles du monde végétal. Certes, son existence physique cessa dès lors que les flagrances du parfum se furent dissipées, mais quel meilleur destin un parfumeur ne pourrait-il rêver que de réaliser sa propre transmutation dans ce qui constitue pour lui l’essence même de l’existence !

©Spock

Publié dans Fantastique

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